Je ne vois pas pourquoi j'aurais une médaille, alors que les camarades qui sont restés là-bas n'ont même pas eu droit à une croix en bois.Louis de Cazenave (vétéran français de la Première Guerre mondiale)
Nous nous proposons de mener, en résidence, un travail d’écriture poétique, sur le thème de la fortification, et d’impulser une dynamique culturelle autour de ce projet impliquant différents types de publics.
FORTIFICATION : le mot et la chose seront pris dans une large polysémie ; de la notion première d’ouvrage défensif – inscrit dans la mémoire et le paysage d’Uffholtz et de sa région, l’on pense évidemment au Hartmannswillerkopf – jusqu’à celle de « fortifiant », sans oublier le sens plus philosophique contenu dans le terme de « citadelle intérieure » qui met l’accent sur la maîtrise de soi, autrement dit la fortification intérieure comme gage de sérénité.
Tout ce champ de prospection lexicale nous conduira à réfléchir sur la notion de relation, d’altérité (au-delà et en-deçà des frontières fortifiées), de vivre-ensemble dans la cité (avec ou sans mur, qu’il soit intérieur ou extérieur), d’identité, de porosité. On en passera donc aussi par un travail sur l’antonymie du terme « fortification » afin de mesurer pleinement les limites et les dangers des verrous que l’on porte en soi ou projette à la face de l’autre (autorité, contrôle, exclusion, pouvoir). Le fortifiant, appelé aussi « cordial », ne conduit pas forcément à la cordialité.
UN TRAVAIL POÉTIQUE : le poème prendra toutes sortes de formes - poème à forme fixe, poème en prose, prose poétique, aphorisme, forme dialogique, néologisme, mot-valise, poème-liste, etc. … Les contenus seront à la croisée des chemins entre recherches historiques (locale, nationale et transfrontalière), sociologiques, littéraires et philosophiques, mais toujours orientés par une écriture cherchant le poème, le parcours poétique. Le travail sera finalisé par la fabrication d’un ouvrage rendant compte du fruit de cette résidence d’écriture.
RÉSIDENCE : nous nous engageons sur trois mois à résider dans l’Abri-mémoire plusieurs jours par semaine afin de nourrir sur place notre travail par des contacts et des échanges avec l’environnement humain, institutionnel, socio-économique, paysager et patrimonial. Nous procéderons pour cette raison à l’élaboration d’un questionnaire sur le thème de la fortification, que nous soumettrons « au passant » traversant les lieux publics. Nous proposerons, sur le terrain de la commune d’Uffholtz et celui de la communauté de communes, des rencontres publiques : des ateliers d’écriture, des lectures, des échanges interdisciplinaires, éventuellement des exposés-conférences avec intervenants extérieurs ou non. Les ateliers d’écriture pourront viser des publics scolaires variés, des milieux socio-professionnels diversifiés, des publics « empêchés » comme ceux des hôpitaux ou du monde de l’incarcération. Des temps forts pourront être envisagés à la Médiathèque de Cernay et à l’Abri-mémoire ou dans tout autre lieu intéressé par ce projet. Le travail d’écriture pourra se construire en écho ou en compagnonnage avec des créations plastiques, photographiques ou musicales, dans un cadre institutionnel ou non.
Décembre 2012, Jacques Moulin
Après lecture du « Journal de campagne » :
Quelle belle écriture, nette, juste, fourmillant de ces trouvailles heureuses dont la résonance n’est pas décorative : non immédiatement elle réveille un peu du cœur profond qui s’exclame : tiens oui, c’est tout à fait ça –merveilleuse adéquation du chant-poème et de son sujet, parole à la densité rare, si souvent musicienne qu’elle mériterait d’être dite pour ce partage autre par les cordes vocales et la réquisition de soi que peut tenter un diseur de poèmes. Ce rôle- là je le tiendrai volontiers, s’il est bienvenu, mais pour une poésie si difficile pour le tout venant, je veux dire exigeante, loin du bavardage, demandant recueillement et ce don de l’attention dont Simone Weil disait que de tous les dons humains c’est le plus proche de la prière-il faudrait, je crois, associer de la musique à ces textes ; profonde intensité silencieuse autour de l’Abril-Abri et du Fort-Fortification. Souvent l’alexandrin se glisse de la façon la plus heureuse qui soit sans avoir l’air de rien comme un rythme d’évidence
« Sous l’aile de l’abri bris de l’aile à coup sûr »
« Du caillou du torchis des rondins de la boue »
Parfois c’est toute une page qui moutonne selon ce rythme et l’harmonie qui s’y lit pour l’œil et pour l’oreille en fait son reposoir –bienfait- sérénité. Non l’alexandrin ne peut protéger de tout, et pourtant il protège
« On tombe sur des mots qu’on peut envisager »
« Il court sur la colline pour un herbier des forts »
Oui vraiment dans ce journal de campagne
« La brèche est faite le haut fait le mur »
L’âme a trouvé refuge, heureuse d’avoir tourné – comme les trompettes autour de Jéricho- autour de l’Abri-mémoire.
Anne Miguet